L’autre hiver au FTA
L’Autre hiver : une fantasmagorie « totale »
Avec l’opéra l’Autre hiver, présenté les 1er et 2 juin, UBU a cédé volontiers à la tentation de faire un « art total ». Musique, projections vidéo, technologie, design sonore, littérature… Ce spectacle à grand déploiement a rassemblé les talents du dramaturge Normand Chaurette pour l’écriture du livret, du compositeur Dominique Pauwels, particulièrement actif sur la scène théâtrale flamande, et surtout du metteur en scène Denis Marleau.
Dans le sillage des Aveugles
Artiste majeur du théâtre québécois, Denis Marleau fonde la compagnie Ubu en 1982. Près de 35 ans plus tard, fort d’une cinquantaine de créations, au carrefour d’une multitude de disciplines, la compagnie jouit d’une réputation internationale. Un exemple convaincant serait celui du spectacle Les Aveugles, écrit par Maurice Maeterlinck, conçu et réalisé par Marleau. Créée en 2002 et présentée à nouveau en 2012 au Musée d’art contemporain de Montréal, cette pièce extraordinaire allait être jouée plus de 800 fois à travers le monde. Ici, aucun comédien n’était présent sur scène. Le visage de deux comédiens (Céline Bonnier et Paul Savoie) avait été filmé à six reprises, donnant un chœur de 12 personnages projetés sur un écran.
Un opéra de revenants
C’est dans cette technologie que la compagnie a puisé afin de réaliser l’Autre hiver, cette fois avec des enjeux encore plus ambitieux! En effet, sur les têtes de 28 mannequins placés sur scène, sont projetés des visages d’hommes, de femmes et d’enfants aux traits fantomatiques. Ensemble, ils chantent, racontent et écoutent une histoire, celle de Arthur Rimbaud et Paul Verlaine, deux poètes maudits qui se sont aimés à la folie. Ces deux personnages, incarnés non par des hommes, mais par deux sopranos, errent sur le pont d’un bateau pris dans les glaces, et cela donna une ambiance résumée avec grande justesse par le mot « fantasmagorique ». Irréelle, parsemée d’illusions troublantes et de visions fantastiques, l’heure et demie du spectacle est brillante pour son habillage scénique particulièrement poétique, où l’on produit « dans l’obscurité, sur une toile transparente, au moyen d’appareils de projection dissimulés, des figures lumineuses diaboliques. »
On aime…
La trame sonore, d’une efficacité remarquable, la conception sonore, la musique, composée par un musicien visiblement aguerri (quoi qu’en pensent les détracteurs de la musique « dissonante ») et les interventions particulièrement fortes du chœur d’enfants du Théâtre de la Monnaie (opéra de Bruxelles).
On n’aime moins…
L’histoire difficile à suivre pour ceux qui ne sont pas familiers avec les protagonistes, et la qualité gênante des enregistrements de voix, projetés à partir de haut-parleurs dissimulés derrière les têtes des mannequins. À comparé, ceux dans Les Aveugles étaient irréprochables. S’il s’agissait d’une décision consciente de la part de la mise en scène d’avoir des enregistrements inintelligibles, disons que celle-ci est discutable.
Au moins, les projections du texte sur un écran sauvait la partie et permettait d’apprécier l’écriture très imagée de Chaurette.