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16 juin 2014

Turcot : Une reconstruction proposée par beewoo

Turcot : Une reconstruction proposée par beewoo

Fascinée par le béton et par l’architecture, Bérengère L. Marin-Dubuard alias beewoo a créé une copie conforme de l’échangeur Turcot format jeux de construction interactif dans la Satosphère. Jusqu’au 27 juin, dans le cadre de la Biennale d’art numérique, vous pouvez visiter en entrée libre à la SAT l’œuvre Turcot : La route devenue architecture. J’ai eu l’occasion d’aller expérimenter l’œuvre en question et de m’entretenir avec Bérengère afin d’en savoir plus sur la conception et la production de l’échangeur.

TURCOT : LA ROUTE DEVENUE ARCHITECTURE
TURCOT : LA ROUTE DEVENUE ARCHITECTURE

Turcot est une œuvre interactive sous forme d’une énorme table ronde où l’échangeur actuel est présenté à l’aide de morceaux de bois brun foncé en noyer sur une table de verre poli. La construction est située dans le dôme de la SAT, la Satosphère, ce qui permet une immersion quasi totale du spectateur dans l’environnement de l’échangeur projeté aux murs. De petits bonshommes ressemblant à des pions de jeux d’échecs sont disponibles sur le contour de la table. Ces petits personnages, lorsque déposés sur la table, permettent de changer le paysage projeté dans la Satosphère et donc de changer le point de vue du spectateur. Sur trois tables disposées sur le côté de la table centrale, plusieurs autres morceaux de bois plus pâle sont disponibles. Ces morceaux représentent la reconstruction de l’échangeur que vous choisissez d’organiser à votre goût. Donc en plaçant ces nouveaux morceaux sur la table, ceux-ci apparaissent dans le décor de l’échangeur actuel pour former une nouvelle construction inventée. En rencontrant Bérengère, j’ai pu avoir accès à tout l’historique de l’œuvre qui peut sembler anodine au départ, mais qui s’avère être une recherche, une construction et du développement sur sept ans.

Au départ, l’intérêt de Bérengère pour l’échangeur Turcot vient de sa composition, son design, sa complexité et sa propriété photographique. Par le biais de son œuvre, l’artiste se questionne sur la mystérieuse façon dont les ingénieurs ont imaginé et planifiés les routes de l’échangeur. Cette réflexion, entamée en 2007, a donc incité Bérengère à prendre des photos de la structure pour ensuite apprendre sa reconstruction planifiée. Après plusieurs lectures sur les rapports du BAPE, l’échangeur Turcot est devenu pour Bérengère un projet d’art et de recherche.

Début des recherches

Le projet d’art de Bérengère a rapidement amené l’artiste à approfondir ses recherches au centre de recherche TAG : Technoculture, art and games. Ce centre de recherche axé sur l’étude des créations de jeux vidéo, de design ainsi que la culture digitale et l’art interactif a permis à Bérengère la rencontre de Mohannad Al-Khatib, artiste numérique et 3D et gradué du programme en Computation Arts de l’université Concordia.

« C’est avec le groupe de recherche TAG que j’ai pu parfaire mes recherches sur l’interactivité et le jeu qui m’ont permis de prendre des décision sur la forme de geste que les participants doivent poser pour interagir avec la structure. Je voulais faire un mélange entre un jeu de construction et un jeu d’échec ou de dames pour que l’installation soit à la fois un jeu à plusieurs comme un jeu de société et un jeu qui permet aussi de construire une forme, comme un jeu pour enfant, qui implique le toucher d’une matière organique : le bois. »

Avec ces recherches et l’aide de Mohannad sur la façon de positionner les photos sur le model 3D de Turcot, Bérengère s’est aperçue de la complexité de l’opération. La modélisation représente la conception d’un modèle 3D, basé sur un modèle réel. Donc c’est grâce à cette étape cruciale que Bérengère allait être en mesure de pouvoir faire apparaître de nouveaux morceaux d’échangeur dans le décor actuel de la construction connue documentée en photo.

Turcot - beewoo

Modélisation-Turcot

Financement et recherches au Métalab

À ce moment, des solutions sont arrivées grâce à plusieurs cessions de brainstorming avec l’équipe du Metalab, l’expertise de Daniel Naud et les bourses du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts et lettres du Québec. Les bourses des 2 Conseil des arts ont permis Bérengère d’approfondir ses recherches dans l’enceinte du centre de recherche Métalab de la SAT et de bénéficier des connaissances de toute une équipe. De plus, Daniel Nault, spécialiste en géopositionnement, a aidé Bérengère à développer des outils de positionnement essentiels à la réussite du projet. À partir des photos prises par Bérengère avec un appareil photo numérique très haute définition muni d’un système GPS, Daniel a pu reprendre toutes les informations géographiques des photos pour en faire des bases de données claires. Lorsqu’une personne positionne un bonhomme sur la table, un point géographique est détecté par le système SpinFramework, qui a été créé par le programmeur Mike Wozniewski dans le cadre du Métalab. Le système fait voyager le bonhomme d’un point à l’autre. Ce voyage est perceptible visuellement avec le changement de photographies dans l’espace de la Satosphère. Dans cet environnement, chaque point de l’univers est catalogué par 24 photographies prises par Bérengère, ce qui constitue une vue d’ensemble de 360 degrés par point sur la table. Ces photos se retrouvent dans l’environnement SpinFramework. Lorsque Bérengère est arrivée à la SAT ce logiciel n’était pas tout à fait au point, mais représentait une solution en logiciel libre afin de faire fonctionner l’œuvre. Donc, David Duguay, développeur et chercheur au Métalab, a développé ce système pour faire fonctionner Turcot sur celui-ci.

TURCOT - Marqueurs fiduciaires

Sous ces petits bonshommes, sont présents des marqueurs fiduciaires. Ces marqueurs, qui ressemblent à des dessins de petites cellules noires et blanches, permettent à une caméra sous la table de lire la position du bonhomme grâce au dessin sous celui-ci. Les marqueurs fiduciaires n’ont pas encore de limite étant donné leur condition de logiciel libre. Cette situation permet entre autres à chacun et chacune de développer à son goût le potentiel du système appelé Reactable et de partager ces trouvailles avec la communauté en ligne. Par exemple, dans la vidéo ci-dessous, lors d’une session en direct organisée par Reactable, un DJ se sert du système comme d’une console de création sonore.

Plus précisément, Emmanuel Durant, qui a développé la programmation pour la table Reactable, était en mesure de savoir où chaque personnage se situait dans un environnement 3D.

Turcot : Modélisation et construction

Chaque nouveau morceau de l’échangeur Turcot devait être modélisé en 3D, pour ensuite être texturé à partir des photos que Bérengère avait prises. Au départ, l’artiste voulait faire le tout en photos pour donner une apparence de collage constructiviste, ce qui allait très bien avec le fait que l’échangeur Turcot tombe en ruine. Toutefois, le tout était trop complexe ; elle a du renoncer. Plusieurs logiciels ont été utilisés avant d’arriver au résultat final : Blender3D, qui est un logiciel Open Source, ensuite le logiciel Sketchup de Google, qui a permis le premier sketch de la satire, et finalement la compagnie dix2 (dix au carré) a modéliser le tout dans Solidworks. Donc, dix2 a modélisé les morceaux de bois et bâti la table centrale. Par la suite, les modélisations ont étés envoyées chez Robotcut Studio qui a créé les morceaux de bois à partir de ces sketchs.

Le son est important car il suggère que plus on ajoute de route à la structure plus il y a de vacarme, ce qui tente d’inciter les visiteurs à éliminer les routes plutôt que d’en rajouter… Bien que, visuellement, on ai plutôt envie de rajouter des routes, pour créer des compositions graphiques. Il y a une tension contraire entre ce qui est perçu au niveau visuel et au niveau sonore : on veut voir plus de route, mais on veut sans doute entendre moins de voitures… Par cela je tente d’évoquer le phénomène de demande induite bien connu des urbanistes, selon lequel plus on ajoute des voies aux autoroutes qui vont vers la banlieue, plus la banlieue se développe et la ville se vide, plus il y a de trafic et d’embouteillages sur les autoroutes. Le facteur de la demande induite est exponentiel. L’aspect sonore du projet a été réalisé par Julian Stein dans Pure data, un autre logiciel libre.

Les modèles 3D visibles sont basés sur les modélisations de dix2, reprises dans 3ds Max par Pedro, modélisateur et développeur 3D. Pedro a ensuite retravaillé tous les modèles en ajoutant des détails tels que des lampadaires et de la texture.

TURCOT - Modélisations de dix2

Chaque étape du projet demandait des tests, des recherches et du développement pour arriver au résultat final. Le projet dans sa phase de conceptualisation et de production totalise un travail d’environ sept ans. Ce projet a été soutenu par le Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des arts du Canada, et le centre de recherches Technoculture Art and Games (TAG). Il a été développé dans le cadre d’une résidence à la SAT, en collaboration avec le Métalab et dans le cadre de la Bian Montréal.

À propos de l'auteur

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Alex Lagacé-Carter